dimanche 14 janvier 2007

Gélinotte: "Mme Arc en Ciel"

De robe baie avec des reflets caramel, les sabots vernis, Gélinotte était une coquette aux yeux de gazelle. A la cime de son encolure, des élastiques colorés comme une collection de bigoudis africains maintenaient ses crins finement nattés. Le public n'avait d'yeux que pour son front bien ouvert, intelligent, sa longue encolure, qui dessinait sur le mâchefer une farandole de lampions.

Née en 1950 de Kairos et Rhyticère dans le haras de monsieur et madame Karle, à Croissanville, dans le Calvados, Gélinotte fut le premier super-crack du trot de l'après-guerre. Son premier entraîneur ne la comprit pas. Distraite et fantaisiste, la demoiselle se mettait au galop, allure très répréhensible dans le milieu du trot. Désespéré de parvenir à l'éduquer, son mentor la confia alors à Charlie Mills( photo avec Gélinotte) un drôle de bonhomme qui, à 8 ans, s'était fait engager par la troupe de Buffalo Bill. D'origine irlandaise, cet amateur de champagne, de havanes et de peinture hollandaise officiait près de Senlis (Oise). Elégant, cultivé, le gentleman détonnait aux écuries de Vincennes, parmi les cols roulés et les casquettes normandes ou mayennaises - l'univers du trotting étant à cette époque résolument paysan.


Mills sut observer Gélinotte, lui parler, ne pas la brusquer, et la trotteuse se mit à fleurir. Il la chaussa de fers en aluminium et la fit tourner. La main de Mills était onctueuse, féminine. Gélinotte la «goûtait» dans sa bouche, du bout du mors, jamais rassasiée. Et, pour familiariser cette émotive au tintamarre d'un hippodrome, il fit installer des haut-parleurs sur sa piste, avec pour unique programme musical des marches militaires. Pour remercier ce père aimé, Gélinotte lui offrit victoire sur victoire. Las! ce manager rêvé tomba malade et dut céder le sulky de sa romantique. Susceptible et lunatique, elle devint irritable, simula des boiteries, son poil se piqua, ses boulets se traînèrent, ses salières se froncèrent; elle perdit l'appétit, se fana. Pire, lorsque Mills, de nouveau valide, reprit la compétition, il choisit de s'installer au sulky de Fortunato II. Ce mâle était de qualité inférieure à Gélinotte, mais Mills avait l'idée de lui faire remporter le prix d'Amérique, un pari financièrement plus juteux, l'exploitation d'un étalon étant bien plus rentable que celle d'une poulinière (50 saillies annuelles contre 1 mise bas).

Il affûta donc Fortunato durant six mois lors d'épreuves classiques auxquelles participait Gélinotte. Drivée par un autre, celle-ci lambina à l'arrière des pelotons, déprimée, l'œil fixé sur la casaque de son amour de Mills, seul en tête. Mais parfois, histoire de l'éblouir, de lui prouver son erreur, elle lui subtilisait les lauriers. Toujours est-il qu'il s'associa de nouveau à Gélinotte pour le prix d'Amérique 1955. Favoris, ils terminèrent deuxièmes derrière Fortunato. L'entraîneur fut suspecté d'avoir combiné l'arrivée. Le vainqueur au haras, Gélinotte et Mills ne se quittèrent plus.
avec un record de 1'16"5 pour parcourir un kilomètre, elle gagna de nombreuses course en Europe, souvent rendant des handicaps au départ contre les meilleurs champions. Drivée par Charley Mills, Gélinotte aura été celle qui a redonné toute sa splendeur au Trot Français, alors en perdition devant le règne sans partage des Américains. Elle a été la première à enlever (deux fois) le grand chelem francais (Amérique-France-Paris) et la première à enlever le grand chelem européen (Amérique-Elitloppet-Lotteria). Elle remporta parmi tant de victoires: 2 Prix D'Amérique, 3 Prix de France et de Paris, Le Critérium des 4ans, Continental, Prix de l'Etoile, Prix de Sélection, mais En Suède L'Elitloppet et l'Aby Stora Press en 1956 et 1957, en Italie le Grand Prix des Nations, de La Loterie, de la Feria, mais aussi en Allemagne (Berlin, Hambourg) en Autriche (Photo) , au Danemark (Copenaghe Cup). Leur idylle les mena de succès en succès (54 en tout, dont les prix d'Amérique 1956 et 1957). Sacrée championne d'Europe, elle écuma le Vieux Continent, amassant 1 milliard de centimes. Lors d'une victoire sous des trombes d'eau, les Italiens la surnommèrent «Mme Arc-en-Ciel». Pour les Français, elle fut la «madone des sleepings», la championne ayant effectué 40 000 kilomètres en train pour ses campagnes européennes!

D'ailleurs l'évocation de Gélinotte est telle que bon nombre de personnes ayant connu cette extraordinaire jument la tarisse d'éloges. Pour exemple ce commentaire que j'ai pu trouvé sur une page web:


"Et oui, j’adore ce mot « gélinotte » parce que lorsque j’étais enfant,
il incarnait, l’élégance aérienne, la fluidité, la classe, le tempérament
d’ une pouliche exceptionnellement douée qui dominait, de toute sa puissance, le
trot international. Un super crack, quoi, comme on dit aujourd’hui !"


De retour au haras qui la vit naître, sa popularité était telle qu'on donna son nom à un dahlia, puis à une rose, un modèle de couturier, un camembert. Elle eut même sa chanson: Trotte, trotte, Gélinotte, trotte, trotte sur ces notes… Elle eut huit rejetons, dont Ura, futur grand-père d'Ourasi. Elle mourut en 1970, à la suite d'une mise bas éprouvante, et fut enterrée sous une plaque de marbre cerclée de lis blancs, à l'ombre d'un cèdre et près d'un coude quiet du Laison. Aujourd'hui, on ce jour de Prix de Belgique 2007, se court le Prix Gélinotte, un Groupe II destinée aux femelles parmi les meilleures de la jeune génération. Dans l'actualité, le plus bel des hommagers était d'écrire un petit paragraphe sur celle qui a remplit une des plus belles pages de l'histoire hippique française.

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